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Près d'un mois après la sortie de l'excellent premier volet, retour en salles pour la suite et fin de la dissertation sur la nymphomanie de Lars Von Trier. Joe reprend le cours de son récit-fleuve en se livrant à l'interprétation de la scène qui avait conclu avec éclat la première partie, où l'on apprenait que, chez elle, l'amour, ce tue-l'orgasme, phagocyte la jouissance. La satisfaction de sa libido s'avère d'autant plus compromise que Joe est désormais en couple avec Jérôme (Shia LaBeouf) avec qui elle a un enfant, Marcel. Incapable d'assouvir l'appétit de tigresse de sa compagne, le malheureux l'envoie voir ailleurs. Joe se lance alors dans une course désespérée pour doper sa sexualité sur le déclin, qui l'amènera à expérimenter le triolisme, le sado-masochisme et les amours saphiques.

Disgrâce de Joe

Autant dire que la descente aux enfers de la nymphomane ne prête plus guère à la bigarrure de tons qui avait fait le charme et la fougue du premier volet. A peine a-t-on ici droit à une scène récréative où l'héroïne (Stacy Martin, avant de passer le témoin à Charlotte Gainsbourg) relève un inénarrable défi et met ainsi à distance, avec un reste de panache et d'insouciance, le mal qui la consume. Prostrée sur sa détresse sexuelle, Joe tombe en disgrâce et, au fil d'expériences destructrices et de rencontres interlopes, deviendra ce qu'elle appelle une "paria du sexe".

Un volet-manifeste

L'intérêt de ce deuxième volet se cristallise dans sa dimension de manifeste, qui appelle à assumer toutes les formes de sexualité, qu'elle soit inexistante (on apprend que le vieux Seligman est puceau) ou dantesque, à condition que cette appétence réponde à une nécessité intérieure ( Joe tacle avec superbe ses compères des nymphomanes anonymes pour qui la nymphomanie n'est qu'un subtitut). Joe en vient même à se projeter dans le personnage de Jean-Marc Barr, pédophile refoulé dont elle admire la retenue. Les êtres sont les otages de leurs penchants, et bien méritant est celui qui parvient à s'y soustraire. Joe se décide donc à vaincre sa nymphomanie et, sur les conseils de la bourgeoise qui préside aux séances de thérapie (où l'on voit encore une fois que l'ennemi numéro un de Von Trier est le bourgeois propret, qu'il s'emploie, avec une jouissance non dissimulée, à choquer) jette tous les objets de son appartement qui rappellent de près ou de loin, le sexe.

Un propos si grotesque qu'il en devient drôle

Et Von Trier de démontrer (rires) que du miroir à la poignée de porte, jusqu'à l'arbrisseau incliné à flanc de colline, tout en ce bas monde connote le sexe. Ici et à maintes reprises, le propos et la réalisation s'embourbent dans un grotesque affligeant. Le ridicule atteint son climax à l'occasion de l'explication du concept du "canard silencieux", qui fait office de sous-titre au chapitre 6, où l'on voit des plans d'un élevage de canards en batterie succéder à un toucher novateur pratiqué sur Joe par son prestataire de service S-M. Lars Von Trier se contente d'ailleurs de mettre en scène une logistique du sado-masochisme dans un déploiement de plans interminables où le tortionnaire ligote méticuleusement Joe et ergote sur le nombre de nœuds à réaliser. Il en résulte des scènes proprement insoutenables -où Joe, dans la position la plus humiliante qui soit, semble se prosterner devant le dieu Sacher-Masoch- qui illustrent encore une fois le penchant iconoclaste du réalisateur.

L'érudition pseudo-sacrilège fatigue

LVT ne cesse, au fil des digressions fumeuses de Seligman, de sacraliser le profane, faisant du sado-masochisme un dérivé de la passion du Christ, le tout sur fond de schisme entre Eglise d'Orient et d'Occident. L'intellectualisation du propos, qui restait somme toute assez mesurée et piquante dans la première partie, devient ici irritante au possible, à force d'étalage d'érudition et de bravoure pseudo-sacrilège. Joe joue volontiers les anthropologues du sexe au cours de la scène de triolisme -si consternante qu'elle en devient cocasse- où elle observe, impavide, deux blacks en érection se quereller dans leur dialecte.

"Vie d'Adèle" et auto-citation

Dans les derniers chapitres, aussi improbables qu'ennuyeux, Joe, grâce à son curriculum vitae de nympho, est employée par Willem Dafoe pour humilier des débiteurs par le fouet ou par la parole et les forcer ainsi à rembourser leurs dettes. Elle se voit alors obligée de pervertir une jeune fille sans famille (dans la pure filiation Sadienne), dont elle fera, à son insu, son double. On assiste alors à une sorte de mauvais remake de "La vie d'Adèle" où les deux femmes sont filmées en pleine nature et en gros plans (Mia Goth, avec son petit nez retroussé ressemblerait presque à Léa Seydoux). Quelques plans -dont celui de la lévitation de Joe enfant, qui confine au foutage de gueule- renouent avec le filon ontologique de "Melancholia" alors que la scène où l'enfant de Joe, laissé à l'abandon, sort de son berceau fonctionne comme un rappel explicite à la scène inaugurale d' "Antichrist" et permet au réalisateur de replacer son antienne, à savoir la culpabilité de la jouissance. A défaut d'approfondir son sujet, qu'il esquive sous un amas hétéroclite de théories à la mords-moi-le-nœud (le film m'autorise la licence), LVT pratique l'auto-citation.

Charlotte Gainsbourg, l'abnégation-même devant les desiderata de LVT , livre ici encore une performance incroyable. A l'affiche également cette semaine du film de Riad Sattouf, « Jacky au royaume des filles » , elle compose deux rôles de femmes aussi dominatrices que fragiles, et y excelle aussi bien en version comique qu'en version tragique.

Le défi au restaurant, une des meilleures scènes du film. Source : Allociné.

Le défi au restaurant, une des meilleures scènes du film. Source : Allociné.

Tag(s) : #Lars Von Trier, #Charlotte Gainsbourg

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