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Certes, au premier abord, le titre semble pour le moins niais et l'affiche fleure le film un poil préfabriqué. Mais on passera vite sur cet a-priori défavorable, d'une part parce que personne avant Anne Le Ny n'avait eu l'intelligence de réunir ces fausses jumelles du cinéma que sont Karin Viard et Emmanuelle Devos qui, outre leur rythme de croisière stackanoviste et leur capacité à se fondre telles des caméléons aussi bien dans le mainstream que dans le cinéma d'auteur, possèdent une force comique intrinsèque que la première met à profit en exploitant le filon de la sensualité altière ou bobonne et la seconde celui de la gaucherie maladive. D'autre part, parce que « On a failli être amies » allie les deux lignes de force du cinéma d'Anne Le Ny, à savoir l'acuité et la sensibilité avec lesquelles elle sonde les rapports humains (« Ceux qui restent », « Cornouaille ») et la comédie mâtinée de cynisme, dans la lignée des « Invités de mon père ». Pour son quatrième long-métrage, l'actrice-réalisatrice aborde le thème de la reconversion professionnelle, qui lui offre un terreau de choix pour complexifier la géométrie du triangle amoureux qu'elle pervertit ici avec malice.

Marithé (Karin Viard) travaille dans un centre de formation professionnelle. Un jour survient, telle une brebis égarée, la patronne d'un restaurant de luxe de la ville en quête d'émancipation, Carole, (Emmanuelle Devos), fatiguée de vivre dans l'ombre de la réussite de son mari, un cuisinier renommé (Roschdy Zem, à contre-emploi, très bien). Marithé va mettre tout son zèle à trouver une alternative professionnelle à Carole, sans oser s'avouer qu'elle espère ainsi libérer la voie et conquérir le mari, par ailleurs cocufié. Commence alors un jeu comique et vénéneux de permutation des places, où tandis que Carole cherche à quitter un modèle patriarcal sclérosant pour conquérir sa liberté, Marithé, célibataire indépendante, mère d'un enfant, met tout en œuvre pour faire le chemin inverse.

Dans « On a failli être amies », les femmes tirent les ficelles et s'utilisent, chacune leur tour, comme marchepied, tandis que l'homme en est réduit au rôle de charmant dindon. Jusqu'à arriver à une situation délétère où l'avenir de Marithé est suspendu à la vie extra-conjugale et au devenir professionnel de Carole... Le machiavélisme se pare ici d'un altruisme qui, au fur et à mesure qu'avance l'intrigue, se fait ingérence. Malheureusement, la finesse d'architecture du scénario est bien souvent sacrifiée sur l'autel d'un comique racoleur qui cherche à gommer les subtilités psychologiques de l'intrigue et à dédramatiser abusivement les situations.

Le parti-pris comique fonctionne lorsqu'il s'agit de désamorcer l'aspect convenu des scènes d'éclat ( quand le crêpage de chignon attendu est atténué par une tendre loufoquerie) mais achoppe dans bien des séquences, polluées par un emploi excessif et tapageur de gags lourdingues auxquels Anne Le Ny ne nous avait pas habitués. En résulte un film inégal où l'attiédissement de l'aspect pervers et vénéneux de l'intrigue par le surjeu burlesque et survolté de Karin Viard donne lieu à des résultats contrastés. Reste qu'Anne Le Ny exploite plutôt bien le côté jouisseur de l'actrice, qui, délestée des attributs de la femme fatale de « L'amour est un crime parfait » se laisse glisser par Roschdy Zem d'une forme de sensualité (la gourmandise)…. à l'autre.

« On a failli être amies » vaut avant tout pour l'alchimie entre Emmanuelle Devos (qui excelle à interpréter les nunuches abusées) et Karin Viard mais aussi pour la galerie des seconds rôles (Anne Le Ny, Annie Mercier et l'hilarant Philippe Rebbot). Autant d'acteurs sympathiques qui invitent à passer l'éponge sur les défauts d'un film qui pêche souvent par une maladresse criante (y compris dans ses raccords), heureusement rattrapée par des sursauts cyniques, une esquisse enjouée du monde du travail, montré ici comme un lieu d'épanouissement et la sensibilité, héritée de « Ceux qui restent », avec laquelle la réalisatrice saisit la rencontre amoureuse. Porté par la pétulante chanson de Sallie Ford, « Danger », « On a failli être amies » n'est ni plus ni moins qu'un aimable divertissement, qui aurait cependant gagné à ne pas renier systématiquement la finesse de son canevas, qui se trouve ici dommageablement abâtardi par un humour un peu balourd, digne des plus grosses ficelles de la comédie française.

Un film qui vaut pur l'alchimie Viard/Devos. Source image : France3.

Un film qui vaut pur l'alchimie Viard/Devos. Source image : France3.

Tag(s) : #comédie, #Emmanuelle Devos

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