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Cela ressemble à un changement de paradigme dans la filmographie des Dardenne. Dans « La fille inconnue », la caméra n'est plus chevillée à ces personnages de prolétaires butés, de battants farouches qui parsèment leur cinéma mais à ce que l'on appelle, dans le jargon de l'INSEE, une « CSP + ». Médecin libéral exerçant dans la banlieue de Liège, Jenny Davin (Adèle Haenel) est cependant tout comme eux un petit soldat du quotidien, peu poreux aux émotions, qui ne se laisse jamais dévier de sa trajectoire. Cette soignante appliquée et scrupuleuse qui tient à exercer son métier dans les meilleures conditions possibles se laisse malgré tout déborder par son travail : des patients en détresse l'appellent parfois tard le soir sur son portable. Comme le médecin libéral incarné par Sandrine Kiberlain dans « Quand on a 17 ans » d'André Téchiné ou le praticien de campagne zélé que jouait François Cluzet dans le dernier film de Thomas Lilti, Jenny est un médecin irréprochable, dévoué corps et âme à ses patients. Pour être à même de poser les meilleurs diagnostics, elle s'est fait un principe de ne pas se laisser déborder par ses émotions et de ne pas ouvrir sa porte une fois passées les heures de consultation. Autant de règles qu'elle égrène, de manière péremptoire, à l'intention de son stagiaire, quand tout à coup la sonnette retentit en ce soir d'hiver. Non, elle n'assurera pas une énième consultation. Jenny se repentira d'avoir fait la sourde oreille lorsqu'elle apprendra de la police que le corps d'une jeune femme a été retrouvé sur les berges, à deux pas de son lieu de travail, et que celle-ci avait trouvé assez de force avant de mourir pour monter jusqu'à son cabinet afin de lui demander assistance. Assaillie par les remords, Jenny va s'employer à retrouver l'identité de cette « fille inconnue » et à lui offrir une digne sépulture.

Si le film semble démarrer sous le signe de la chronique médicale (avec son défilé de patients, son ballet de gestes précis), puis se transformer en pensum grisâtre sur la culpabilité, ces apparentes directions du récit ne sont que des leurres. Les films de la fratrie belge appellent le mouvement, l'effort, la quête, l'exigence pour les personnages d'un dépassement de soi et de ses affects. « La fille inconnue » s'embourbe alors dans une enquête clandestine menée par le médecin, par le truchement de laquelle toute la galerie coutumière de personnages dardenniens nous est donnée à voir. Petits propriétaires véreux, prolos louches, enfants sournois recroquevillés sur eux-mêmes balisent les recherches de Jenny. Cette intrigue filandreuse, anecdotique et plate, dont les moindres détours reprennent, sur un mode mineur et peu inspiré, les petites recettes, désormais lyophilisées, des Dardenne semble avoir moins pour but de délivrer un panel morose du prolétariat contemporain que d'offrir à leurs acteurs fétiches (Jérémie Renier, Olivier Gourmet, Fabrizio Rongione) un rôle ou un caméo. L'écriture, au mieux a minima, au pire à la truelle, de leurs rôles donne ainsi l'impression d'un défilé gratuit d'acteurs condamnés à s'abîmer dans des variations caricaturales sur leurs personnages coutumiers. Radotage absolument dépourvu du moindre élan, « La fille inconnue » fait figure d'énième chapitre dévitalisé et stérilisé dans l’œuvre des Dardenne. Loin des embardées furieuses de « Rosetta », la caméra pêche par son statisme et son manque de nervosité tandis que le personnage, par ailleurs assez bien écrit, peine à susciter l'empathie et le film, une quelconque émotion. On s'attendait à ce que le magnétisme brut et le jeu viscéral de la grande Adèle Haenel fassent des étincelles dans l'univers âpre des réalisateurs du « Silence de Lorna ». Malheureusement sous-exploitée, l'actrice, bloc ombrageux, tendu et opiniâtre, merveilleuse de précision, reste le seul élément susceptible de retenir l'attention dans ce rabâchage morne et ennuyeux. Comme beaucoup de films présentés en compétition à Cannes cette année (ainsi d'American Honey d'Andrea Arnold), le film des Dardenne ne vaut que pour son personnage et son actrice, derrière lesquels on cherche vainement matière à intérêt. Adèle Haenel, la fille connue, sauve ainsi de justesse « La fille inconnue ».

 

 

 

 

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