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On associe souvent Gilbert Melki à Patrick Abitbol, son personnage de cousin richard et flambeur dans « La vérité si je mens ! » ou au patron fort en gueule du « Kaboul Kitchen » de la série éponyme. C'est oublier que cet acteur malheureusement sous-exploité par le cinéma français excelle aussi dans un registre âpre (« Après la vie » de Belvaux, « Complices », « Très bien, merci »...). Dans « Vendeur », qui tient sur ses solides épaules, Sylvain Desclous se propose d'exploiter de front son double potentiel, sa double facette. Présence minérale, assurance qui frise parfois la morgue, classe inimitable, Serge est un VRP en cuisines dont la technique bien rodée, à la lisière de l'enfumage, a fait de lui une sorte de « tonton » de la vente. « Serge » : le prénom rappelle évidemment celui du cousin pique-assiette, joué par José Garcia, dans la trilogie de Thomas Gilou, d'autant que l'on entend aussi au cours du film celui d'un autre comparse, Dove.

Et pour cause, « Vendeur » semble né de la cuisse de « La vérité si je mens », dont il est une sorte d'émanation low-cost et morose. Belles bagnoles, rails de coke, beuveries entre collègues, call-girls : le quotidien de noceur de Serge ressemble à celui de Patrick Abitbol, le travail en plus, les somptueuses baraques en moins. Hâbleur et retors, le VRP a tôt fait d'embobiner le client à l'affectif. Quand son fils, Gérald (Pio Marmaï, toujours à son affaire dans son éternel emploi de trentenaire en galère un peu pataud), endetté jusqu'au cou par son restaurant, vient lui demander de le pistonner dans sa boîte, Serge lui répond que vendeur, c'est un métier et que Gérald n'en a visiblement guère la bosse. Et c'est peu dire que ce fils maladroit et peu entreprenant n'a pas reçu le bagou de son père en héritage. Mais ce que veut surtout lui éviter Serge par ses avertissements répétés, c'est de finir comme lui à soixante ans, seul et condamné au sexe tarifé dans des chambres d'hôtel.

« Vendeur » est tout sauf un récit sur la transmission. Ou alors une transmission empoisonnée que le père accomplit à son corps défendant, quitte à se transformer en mauvais génie pour éviter à son fils de régler son pas dans les siens. Immersion juste dans le milieu couillu et sans pitié des commerciaux, où les ordres des patrons se résument à des injonctions grossières à faire du chiffre, le film reste au niveau de son sujet, sans chercher à s'élever, ce qui fait à la fois son prix et sa limite. Limite parce que la trivialité du milieu dépeint n'autorise qu'un film a minima, qu'un traitement un peu plat. Mais si le déploiement du film reste assez balisé (l'angoisse existentielle latente et proverbiale du VRP esseulé, qui était traitée récemment sur un mode tragi-comique chez Michel Leclerc dans « La vie très privée de Monsieur Sim »), son minimalisme sec et corsé emporte la mise. Condensé, ristretto, shooté à l'adrénaline de ses personnages « Vendeur » ne s'autorise, comme fioriture, qu'une BO éclectique et entêtante, allant de l’étrangeté presque abstraite d'un roulement de batterie scandant les tractations commerciales aux songs américaines des années 1970 qui accompagnent le défilement du périph et des zones commerciales impersonnelles, parcourus sans relâche par le personnage.

Un habillage sonore qui donne au personnage des airs de poor lonesome cowboy de la vente et à Gilbert Melki, un petit côté Al Pacino du périurbain français. Sylvain Descloux signe un long-métrage au rythme pulsé, dans lequel les scènes et les ellipses s'enchaînent à la vitesse de rails de coke ou de shots de vodka. Jusqu'à ce que les aspérités dramatiques du récit, un peu trop attendues et étirées, ne viennent édulcorer le charme que dégageait sa magnétique rugosité. Comme son personnage, le film connaît un petit coup de mou, fait lui aussi sa middle-life crisis, que le peps ironique de la fin, aussi en forme de clin d’œil à «La vérité si je mens ! », vient rattraper. De Patrick Abitbol à Serge, le salut est dans la piscine.

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