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Il y avait "Jojo", le français moyen selon Macron, équivalent du "average Joe" américain, voilà désormais "Yannick", incarnation du spectateur moyen, que Rima Abdul-Malak pourra reprendre comme élément de langage. Ce Yannick n'a rien à voir avec le spectateur du "In" d'Avignon ou du quinquagénaire abonné à Télérama prompt à faire claquer son siège et à s'éclipser plus ou moins discrètement si la représentation n'est pas à son goût. Non, Yannick est un gardien de nuit, un p'tit gars de la "France d'en bas" comme dirait l'autre (condescendance toujours), qui a posé une journée de congé et s'est fadé 45 minutes de métro et 15 minutes de marche pour se retrouver devant une laborieuse pièce de boulevard. Il se sent lésé, floué, les 16€ dépensés sont peu de chose comparé au précieux temps de divertissement perdu. Alors, il se lève mais il ne se casse pas. A la réplique de trop, il brise la sacro-sainte limite entre la rampe et la salle pour exposer ses griefs aux acteurs et prendre à témoin, et bientôt en otage, la salle entière.
Dans un temps où il est de bon ton de respecter le travail des acteurs (réplique qui ne manque pas de lui être assénée), où la contre-claque est passée de mode, sans parler des tomates du théâtre élisabéthain, son geste est rien moins que sacrilège et iconoclaste. Même si, en interrompant cette piteuse histoire de cocuage, il transforme en véritable spectacle vivant cette caricature moribonde et faisandée de vaudeville. Son intarissable loghorrhée où l'absurde le dispute au bon sens et le droit à la critique au poujadisme, dialectise ce que Sollers appelait "la guerre du goût". Malgré sa rhétorique sans armature, il parvient à dynamiter à la force de son bagou les prêts-à-penser et l'entre-soi bien douillet de comédiens pénétrés de leur art, dont le mépris de classe n'a d'égale que leur pathétique tendance à se rassurer les uns les autres et à faire front face à l'importun.
L'idée aurait pu germer chez Yasmina Reza, Polanski, Blier, même chez Mocky...où elle aurait sans doute été approfondie jusqu'au carnage. Or, le paradoxe du film de Dupieux est que, malgré les répliques bien senties, la profondeur qui se dissimule sous le cocasse, les virtualités et les potentialités scénaristiques et sociales ne sont pas portés à leur paroxysme malgré le jusqu'au boutisme apparent de l'argument du film. Surnage néanmoins la "vis comica" étonnante et détonnante de Raphaël Quenard, appelé sans nul doute et à juste titre, à devenir la coqueluche du cinéma français, avec sa naïveté goguenarde et sa diction à la fois offensive et bonhomme. On ne saurait rêver entrée plus fracassante dans le cinéma français.
Le spectateur enragé : "Yannick" de Quentin Dupieux

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