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Que ce soit le titre de l'unique film de Buñuel dans lequel elle ait joué qui définisse le mieux ce qu'a incarné Stéphane Audran tout au long de sa collaboration avec Chabrol, à savoir le charme discret de la bourgeoisie, ne manque pas de sel, d'autant que le grand Luis l'appelait, non sans ironie et condescendance peut-être, « Madame Chabrol ». Mais comme dit l'adage, derrière chaque grand homme, il y a une femme et que serait l’œuvre du facétieux Claude, attachée à traquer une bourgeoisie viciée, ravalant ses crimes derrière une urbanité de façade sans cette grande dame, à la beauté nimbée d'étrangeté, au port altier, au visage évasé et aux yeux pénétrants dont l'éclat était encore relevé par un impeccable carré roux ? Si le cinéma de Chabrol va bien au-delà de sa collaboration avec celle qui fut sa muse et son épouse, force est de constater que son œuvre fut presque sculptée à partir du visage quasi marmoréen et énigmatique d'Audran, sur lequel se referment nombre de ses films. Avec son jeu tout en creux, l'actrice a incarné les grandes bourgeoises adultères (Les Noces Rouges, La femme infidèle) ou trompées (dans Juste avant la nuit, chef d'oeuvre chabrolien dans lequel la maîtrise de son jeu est à son apogée), les riches protectrices et bonnes samaritaines un brin perverses (Les Biches, Betty) comme des femmes plus modestes (la mère de Violette Nozière, une mère aux abois dans La Rupture, une institutrice de province dans Le Boucher, une jeune employée de magasin dans Les Bonnes femmes, une mère castratrice dans Poulet au vinaigre...) : autant de personnages ayant en commun une participation ou un voisinage avec le crime. Latences, quant-à-soi indéchiffrable, extralucidité taiseuse, impassibilité de façade menaçant sans cesse de se craqueler, formaient la quintessence même de ses remarquables interprétations. Mais Audran ne fut pas que cette grande bourgeoise au visage comme auréolé d'un voile opaque : elle fut aussi la terrienne Babette, apprêtant des mets succulents pour une petite communauté protestante danoise effarouchée par le pêché de bonne chère dans « Le Festin de Babette » de Gabriel Axel. Assassinée à plusieurs reprises chez Chabrol ou figée par les événements et comme à demi-morte à la fin de bien de ses films, Stéphane Audran, décédée le 27 mars à l'âge de 85 ans, laisse à tout jamais dans notre mémoire l'empreinte de son beau visage pétrifié et énigmatique.

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