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Vincent Macaigne, metteur en scène de théâtre, réalisateur et acteur n'est pas que le dénominateur commun des films de la nouvelle garde du cinéma français. A plus d'un titre, les longs-métrages dont il est l'interprète principal parmi lesquels « 2 automnes 3 hivers » de Sébastien Betbeder et « Tonnerre » de Guillaume Brac, semblent mériter l'étiquette de « film macaignien », au delà de la patte, incontestablement singulière, de chaque réalisateur. A l'occasion de la sortie d' « Une histoire américaine » le 11 février, long-métrage d'Armel Hostiou tourné à la sauvette qui semble prolonger, voire radicaliser, le personnage d'amoureux éperdu endossé par Macaigne de film en film, il semble légitime de questionner la tessiture particulière de cet acteur qui imprime en profondeur et de l'intérieur chaque film. Comme dans les années 1950 où l'on parlait de « films de Fernandel » (voir « l'Etranger » de Camus), les films à l'aune desquels nous allons interroger la présence de Macaigne pourraient être regroupés, si l'on éclipse la sacro-sainte politique des auteurs au profit d'une « poétique de l'acteur », sous l'appellation de « films de Macaigne » ou « films macaigniens ».

Etant entendu que « film macaignien » signifie en général film petit moyens ( de « 2 automnes 3 hivers » filmé avec trois bouts de chandelle à « Tristesse club » et à « Eden », nettement mieux pourvus financièrement), film tourné dans l'urgence (urgence du tournage en temps réel pour les séquences de foule du 6 mai 2012 dans « La bataille de Solférino » de Justine Triet), film dont il est à peu près le seul interprète principal connu (à l'exception de « Tristesse club », où il partage l'affiche avec Ludivine Sagnier et Laurent Laffitte), tous les films auxquels il participe sont dotés d'une énergie, d'un élan créateur parfois foutraque (« La fille du 14 juillet ») qui naissent d'une économie des plus rohmériennes.

Un qualificatif qui permet de faire la transition avec le thème cardinal abordé dans tous les films avec Macaigne , l'amour : amour pour une femme qui échappe sans cesse, qui, si elle se donne, menace sans cesse de se dérober (Solène Rigot retourne avec son ex dans « Tonnerre »), amour- limite aux relents incestueux (la coucherie dans la cabane avec Ludivine Sagnier dans « Tristesse club » qui s'est d'abord présentée comme sa sœur) mais aussi amour ou désamour filial (pour un père disparu dans « Tristesse club », pour un père cycliste -Bernard Ménez- chez qui son personnage de « Tonnerre » est retourné vivre) et amour paternel (le combat pour voir ses enfants qu'il mène dans « La bataille de Solférino »). Le personnage interprété par Macaigne de film en film existe ainsi presque exclusivement par le regard qu'il pose sur les femmes, regard sans cesse désirant, apeuré, fasciné, quasi-hypnotisé par la sensualité féminine. Regard attachant d'un Orphée qui jouerait sur sa lyre la partition maladroite d'une séduction presque embarrassée, balbutiante qui tiendrait à la fois de la logorrhée d'un Jean-Pierre Léaud et de la maladresse gracieuse et tendre d'un Pierre Etaix, et pour qui les femmes sont autant d'Eurydices menaçant à chaque instant de disparaître.

Le plan qui semble figer le plus dans son essence le personnage macaignien se trouve dans « Tonnerre » où il demeure seul, sur un quai de gare de province enneigé et vide, un bouquet de fleurs à la main, alors que le train qui devait ramener sa jeune conquête s'est vidé de ses passagers. Sa quête éperdue de la femme qui se dérobe peut aussi bien ouvrir la voie au thriller (son personnage de « Tonnerre » se transforme en agresseur) qu'à la comédie romantique version sombre : le personnage d'une « Histoire américaine » traverse l'Atlantique pour retrouver la femme aimée, insensible à son geste, et s'enfonce dans l'entêtement et dans la folie. L'amour exclusif, radical, entêtant, est une des caractéristiques du "film macaignien".

La séduction burlesque qui est l'apanage du "personnage macaignien", si elle donne souvent lieu à des déconvenues (la fin de « La fille du 14 juillet ») opère la plupart du temps sur les filles mais la relation amoureuse est toujours sur un fil (« Deux automnes 3 hivers », « Tonnerre »). Elle est surtout au principe d'un lyrisme, souvent face caméra, lyrisme remis au goût du jour par Christophe Honoré avec le Louis Garrel de « Paris » et des « Chansons d'amour ». Ce peut être de manière fugace comme dans « La fille du 14 juillet » dans lequel il confie « avoir eu une fille dans la peau » comme en fil rouge d'un film : ainsi de « 2 automnes 3 hivers » où son personnage, qui est le pivot du récit, commente ses états d'âme et les fluctuations de sa relation amoureuse dans des monologues face caméra. Ses confessions et récits loufoques forment de film en film la matière d'un romantisme cocasse, auquel le timbre voilé et la calvitie naissante de Macaigne confèrent fébrilité et mélancolie.

Eternel amoureux transi, le personnage du « film macaignien » est aussi un marginal, enchaînant les petits boulots (« 2 automnes 3 hivers »), pratiquant l'exercice illégal de la médecine dans le foldingue « La fille du 14 juillet », artiste-interprète fauché dans « Tonnerre », maniaco-dépressif et persona non grata à la conduite un brin suspecte dans « La bataille de Solférino ». Il n'y a que dans un cinéma plus « accessible », moins estampillé « auteur » , qu'il occupe une vraie fonction : producteur de radio et de disques dans « Eden » de Mia Hansen-Love ou à la tête d'une entreprise florissante dans « Tristesse club ». Son personnage de « 2 automnes 3 hivers » avoue d'ailleurs que le métier, la fonction, même si on y passe 80 % de son temps, n'aura pas droit de cité dans la narration du film. Fer de lance de films fauchés joyeusement militants, du délire anar le plus radical (« La fille du 14 juillet ») au film-socialisme (« La bataille de Solférino »), son physique de soixante-huitard cristallise une nostalgie, un léger vent de révolte (que l'on retrouve aussi dans ses mises en scène) et lui confère par là-même une présence aussi poétique que politique.

Le personnage macaignien, c'est aussi l'alliage d'une sensibilité à fleur de peau et d'une volubilité presque crâne, c'est un doux et charmant phraseur trébuchant dans son phrasé, un équilibre instable et toujours ténu entre séduction fébrile et saillies farfelues, dont le Maxime de « Tonnerre » constitue le versant le plus noir et l'inénarrable « Pator » de « La fille du 14 juillet » l'esquisse discrète et en roue libre. Au delà de la diversité - apparente- des rôles qu'il endosse, se dessine une constante du personnage macaignien au point que chaque film, passé ou à venir, semble délibérément empreint de son sceau. Sa seule présence, irrésistible, dans un film peut suffire à donner par avance une idée de sa tonalité, quel qu'en soit le metteur en scène. Abonné au même emploi, dont on ne se lasse jamais d'observer les subtiles variations au fil de sa filmographie, on l'imaginerait tout à fait en Hans Castorp brûlant pour sa Clawdia Chauchat, observée à la dérobée dans le sanatorium du Berghof. Pas impossible, puisqu'il a projeté de donner une adaptation de « La montagne magique » de Thomas Mann au théâtre. Est-ce à dire que même dans ses lectures, Macaigne se projette dans des rôles d'amoureux passionné ? Une frange du cinéma français d'auteur semble en tout cas se coudre, s'indexer, germer autour de la figure macaignienne (dans plusieurs films, il porte le même prénom qu'à la ville) dont il est à parier qu'il ne se lassera pas d'épuiser les possibles tragi-comiques. Grâce à Macaigne, ce cinéma des marges a la frite.

A venir : 11 février : « Une histoire américaine » d'Armel Hostiou avec Kate Moran, Vincent Macaigne

Courant 2015 : « Les deux amis » de Louis Garrel avec Goldshifteh Farahani

"La fille du 14 juillet", esquisse en roue libre du personnage macaignien.

"La fille du 14 juillet", esquisse en roue libre du personnage macaignien.

Le personnage macaignien figé dans son essence dans ce plan de "Tonnerre" de Guillaume Brac

Le personnage macaignien figé dans son essence dans ce plan de "Tonnerre" de Guillaume Brac

Tag(s) : #Macaigne, #acteur, #film auteur

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