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L'année dernière, Anaïs Demoustier, nouvelle petite robe noire du cinéma français, était à l'affiche de deux films dont les titres suffiraient presque à résumer l'intrigue d' « A trois on y va » : « Situation amoureuse : c'est compliqué » et « Une nouvelle amie ». Dans le dernier film de Jérôme Bonnell, elle interprète une jeune avocate, Mélodie, amie d'un jeune couple, Micha (Félix Moati) et Charlotte (Sophie Verbeeck), deux tourtereaux tout juste installés dans leur nouveau nid, une belle maison lilloise. Mais la petite musique ronronnante du bonheur conjugal va changer de tonalité au contact de cette nouvelle amie, les sentiments s'imposer et se recomposer au diapason de la bien nommée Mélodie qui, malgré elle, devient le charmant élément perturbateur du couple. D'abord, par la relation clandestine qu'elle entretient depuis quelques temps semble-t-il, avec Charlotte, qui se complique encore lorsqu'elle finit par succomber au charme et aux avances de Micha. Encore qu' « avances » soit un mot trop vulgaire pour le cinéma de Jérôme Bonnell dont on craint de déflorer par les mots l'allant gracieux, la fougue sentimentale, la radicalité délicate des désirs qu'il s'attache à radiographier.

Comme dans son précédent film, « Le temps de l'aventure », beau récit d'un adultère en contre-la-montre, Bonnell prend les sentiments à la racine et par la racine, filme les élans du cœur comme autant d'herbes folles qu'il s'agit de laisser s'épanouir et croître, loin des mauvaises herbes du moralisme, des catégorisations du désir et des situations, des atermoiements stériles. Ses personnages sont des électrons libres, qui vivent et assument leurs désirs, délestés du poids de la culpabilité. Trois êtres vibrants mus uniquement par le fil de la passion (Mélodie dit « faire ça comme elle respire ») dont les amours croisés et complémentaires dessinent une carte du tendre inédite dont Mélodie et le spectateur sont les seuls à avoir la légende.

Complicité qui est le moteur d'une série de scènes vaudevillesques dont la plus réussie est sans doute celle où Micha et Charlotte, chacun à sa fenêtre, font signe simultanément à Mélodie de s'éloigner de la maison. Par un contre-champ, une petite phrase au débotté, une situation à la Feydeau, Bonnell convoque toujours la légèreté, l'humour pour désamorcer une déferlante de sentiment ou d'émotion, ce qui confère au film un côté primesautier, enlevé. Dans ce double registre, les acteurs font merveille : de la petite nouvelle, Sophie Verbeeck, magnétique et troublante à Anaïs Demoustier, toute en grâce mutine et en fébrilité en passant par Félix Moati, extrêmement touchant dans ce rôle de nounours tendre.

C'est de cette cascade de situations comiques, du ballet fiévreux de ces corps impatients entre deux portes qui claquent que naît un suspense sentimental. Les personnages vont-ils, une fois le voile du mensonge tombé, former un « trouple », vivre leur « polyamour » au grand jour ? A cette question, l'épilogue oppose une réponse conventionnelle en forme de pirouette scénaristique, aussi inattendue que brutale. Mais une fois acceptée cette entorse au jusqu'au-boutisme amoureux qui semblait pourtant porter le film, cette fin timide se révèle dans toute sa beauté. Si l'ensemble émeut, transporte autant, c'est peut-être parce que le cinéma de Bonnell est un cinéma de belles personnes, ne montrant que des gens sensibles, fins, doux, désertés par les mauvaises pensées, la jalousie, l'envie mais terriblement vivants. Des personnages magnifiques que l'on aimerait rencontrer dans la vie. De là un soupçon d'idéalisme, de néo-romantisme gentillet qui peut parfois s'insinuer entre deux scènes mais que la grâce volatile et la sensibilité avec laquelle le film capte le tourbillon de la vie et les vertiges de l'amour empêchent toujours de sombrer dans le factice.

« On s'en fout d'être adultes ! » clament séparément, dans un mimétisme comique, Micha et Charlotte, devant une Mélodie, un peu embarrassée d'embrasser et d'étreindre à la dérobée. C'est cette insouciance et cette liberté que s'autorisent les personnages un peu angoissés à l'idée d'entrer dans la vie d'adulte (l'achat de la maison et le prêt afférent tourmentent Micha) qui intéressent Bonnell qui ne déteste rien tant que la trivialité. Dans ce film gracile et léger, il chante « le temps de l'amour, le temps des copains et de l'aventure ». « A trois on y va », on s'en souvient.

« A trois on y va » de Jérôme Bonnell : « trouple » et troubles
Tag(s) : #vaudeville, #comédie sentimentale

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