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Il a suffi de voir « Une autre vie » pour se convaincre que l'esprit de sérieux ne seyait guère à Emmanuel Mouret. Cette sortie de route pour le moins déconcertante sur les chemins tortueux du mélodrame témoignait peut-être d'un désir du réalisateur de rompre un moment avec la petite musique qui est la sienne, ce thème des jeux de l'amour et du hasard décliné, de film en film, en autant de variations désopilantes. Pour curieux que cela puisse paraître, « Caprice », qui marque le retour de son auteur au marivaudage primesautier en même temps que sa réapparition devant la caméra, bénéficie de l'échec d'« Une autre vie », tout en en portant les stigmates. C'est au changement de ton qui s'opère lentement mais sûrement tout au long de « Caprice » que l'on observe combien cette incursion malheureuse dans le mélo a permis de régénérer de l'intérieur le cinéma de Mouret, qui était pourtant loin d'être à bout de souffle. C'est comme si les restes d' « Une autre vie » n'avaient pu manquer de se sédimenter dans « Caprice », qui laisse se craqueler à mesure qu'il avance, le vernis de comédie « bulle de champagne » qui enrobe toute l'équation amoureuse pour en révéler peu à peu les forces tragiques sourdes, les possibles avortés, le calme de surface de l'équilibre retrouvé. Le décor final qui permet aux pensées du protagoniste de se déployer est quasiment identique à celui dans lequel JoeyStarr et Jasmine Trinca évoluaient : c'est dire si l'expérience d'« Une autre vie » est encore prégnante chez Mouret et infiltre sourdement « Caprice ». Si les comédies en apparence badines du réalisateur (« Un baiser s'il vous plaît », « Fais moi plaisir ! ») laissaient affleurer les questionnements sur le sentiment amoureux et se nimbaient souvent d'un soupçon de mélancolie, force est de constater que « Caprice » est le premier film de Mouret qui parcoure de bout en bout et avec une telle aisance tout le spectre des émotions, comme s'il cherchait à éclairer à l'aune de ces changements de ton les différentes facettes d'une même situation amoureuse, de se délester des oripeaux du rire pour en révéler les soubassements dramatiques et la part d'informulé.

Clément (Emmanuel Mouret), instituteur lunaire, vit un rêve éveillé. La comédienne qu'il admire, Alicia (Virginie Efira, plus pimpante et subtile que jamais), échaudée par plusieurs déconvenues amoureuses, s'est amourachée de lui, trouvant refuge dans sa douceur et sa candeur aux antipodes de l'hypocrisie et du cynisme qui gangrènent le milieu artistique dans lequel elle évolue. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si Caprice (Anaïs Demoustier, décidément abonnée au rôle d'élément perturbateur de couple après « A trois on y va »), une jeune fille aussi sautillante qu'une puce et aussi insidieuse qu'un pou, n'avait jeté son dévolu sur Clément. Difficile pour un homme aussi velléitaire et emprunté de préserver son couple face aux assauts répétés et sans limite de cette Caprice quasi-maléfique sous ses airs mutins. Sans compter qu'à la faveur de cette situation, son meilleur ami (le toujours délicieux Laurent Stocker) risque de lui souffler sa belle...

Sans rien sacrifier à l'art burlesque de la saynète et au comique évaporé des dialogues qui composent l'ADN mouretien, « Caprice » a tout de l'horlogerie parfaitement rodée à la Rohmer, déployant à l'envi les ressources du hasard et les situations les plus anti-naturalistes pour fragiliser et recomposer sans cesse l'équation sentimentale et la questionner à l'aune de situations incongrues. Si Mouret s'amuse des pâmoisons que suscite son personnage de Don Juan malgré lui jusqu'à en faire un postulat de comédie, il interroge surtout le mirage (et le miracle?), l'illusion et les fantasmes à l’œuvre dans la cristallisation amoureuse. Clément aime-t-il l'image d'Alicia ou l'aime-t-il pour elle-même ? Autant de questions révélées sournoisement par Caprice, qui de pot de colle et de mauvais génie, se fait révélateur. Grâce à elle, Clément accède à la vérité de ses sentiments et se découvre des ressources insoupçonnées. « Caprice » évoque non sans un certain spleen les dépôts, les sédiments que laisse en soi toute rencontre, fût-elle un marivaudage sans grande conséquence. C'est là que l'amour rejoint l'art : les œuvres et les relations amoureuses se nourrissent des échecs et des esquisses qui les ont précédées. C'est ainsi qu'à la suite du larmoyant et vain « Une autre vie » est né ce « Caprice » pétillant et grisant aux discrets accents élégiaques.

VirginieEfira, pétulante et subtile et Emmanuel Mouret, don juan fernandelo-rohmérien. Copyright image : Télérama

VirginieEfira, pétulante et subtile et Emmanuel Mouret, don juan fernandelo-rohmérien. Copyright image : Télérama

Tag(s) : #marivaudage, #comédie, #Rohmer

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