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On attend toujours au tournant un réalisateur qui impose une rupture de ton dans sa filmographie. C'est le cas de Xavier Beauvois qui, quatre ans après le superbe « Des hommes et des dieux », change de registre avec « La rançon de la gloire », comédie burlesque avec un arrière-fond tristounet et morose, dans le sillage d'un Chaplin. Et pour cause, puisque c'est le grand Charlot, ou plutôt sa dépouille, qui est le moteur de cette intrigue abracadabrantesque, inspirée d'un fait divers. En 1977, dans le canton de Vaud, en Suisse, deux polonais entreprirent de déterrer le cercueil de Chaplin dans le but d'extorquer une coquette rançon à la famille.

Dans le film de Beauvois, ce duo croquignolesque est composé d'Eddy (Benoït Poelvoorde), un gai-luron magouilleur et lettré, tout juste sorti de prison et d'Osman (Roschdy Zem), un modeste employé communal, père d'une charmante petite fille qui ne s'en laisse pas conter (Séli Gmach). Sa femme (Nadine Labaki) est à l'hôpital, attendant d'être opérée de la hanche. Eddy, qui s'est installé dans une caravane délabrée à côté du cabanon qui fait office de toit à Osman et à sa fille, essaie de réenchanter leur quotidien. Il leur procure -par des moyens peu orthodoxes, sans doute- une télévision, qui ne tarde pas à annoncer la mort du cinéaste. Ni une, ni deux, Eddy fomente l'enlèvement du cercueil de « l'ami des sans-logis, des paumés ». Un petit mal pour un grand bien, qui permettra à Osman de réunir les fonds nécessaires à l'opération de sa femme.

L'anecdote se prêtait à un traitement savoureux, dans la lignée des plus illustres comédies italiennes telles « le Pigeon » de Mario Monicelli. Malheureusement, force est de constater qu'en dépit des envolées comiques poelvoordiennes, le film manque sérieusement de nerf quand il ne se repose pas sur une simple mise en images paresseuse des événements. A deux ou trois reprises, on a le sentiment que Beauvois a planté sa caméra, attendant qu'une touche burlesque surgisse comme par enchantement du jeu des acteurs, qu'un petit quelque chose vienne assaisonner la longue reconstitution du rapt funèbre. Ainsi des scènes, filmées sans aucune ellipse, où le tandem de bras cassés déterre la bière et la transporte à l'orée d'un bois pour la ré-enterrer, qui grèvent le rythme du film.

Mais ce n'est pas rendre justice à ce dernier que d'évoquer seulement ces séquences trop étirées pour n'être pas à la longue gratuites. Malgré ces coups de mou, « La rançon de la gloire » est une burlesque équipée plutôt divertissante, que la joliesse de ses plans (composition tout en symétrie, très travaillée) et la musique enchanteresse du bien nommé Michel Legrand achève de transformer en conte de Noël en forme d'hommage saupoudré de références (ou plutôt de « révérences » comme dirait Robert Guédiguian) à Chaplin : Osman change les ampoules des lampadaires et c'est les « Lumières de la ville » qui sont convoquées ; sa bicoque n'est pas sans rappeler celle de « La ruée vers l'or » tandis que Poelvoorde nous offre une discrète resucée de la scène des lacets...

Divertissement d'autant plus agréable que tout est bien qui finit bien et que le hasard, qui fait parfois bien son œuvre, fera que Poelvoorde rencontrera l'amour en la personne de Chiara Mastroianni (loin du tourment de « Trois cœurs » de Benoît Jacquot), une belle écuyère qui l'embauchera dans son cirque. Voilà notre sympathique roublard reconverti en clown. A sa sortie de prison, le gardien lui avait pourtant enjoint d' « arrêter de faire le clown », peine perdue. Il est tentant de filer la métaphore avec Poelvoorde, dont les incursions réussies dans le drame ne l'empêchent pas de revenir régulièrement à la comédie. Dans ce rôle de fanfaron roublard, il fait son miel des dialogues et des saynètes croustillantes qui sembles taillées pour lui en même temps qu'il révèle, avec une rare délicatesse, les fêlures de son personnage. S'il mérite que l'on s'attarde sur sa prestation, c'est parce que le film, pour sympathique qu'il soit, ne serait rien sans lui. Stimulateur allègre de cette « Rançon de la gloire » au bord de l'ankylose, Poelvoorde révèle qu'il est de la trempe de ceux qui vampirisent par leur seule présence chacun des films auxquels ils participent. Rien moins que les Raimu, Fernandel et consorts.

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Tag(s) : #comédie, #Chaplin

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