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Ça commence comme « La vie d'Adèle » : un lotissement morne au point du jour. Pour Charlie (Joséphine Japy), élève de terminale, il est l'heure de se lever. Une altercation entre ses parents, au rez-de chaussée, fait office de réveille-matin. Journée morose en perspective. Sa meilleure amie la bassine avec ses amours hypothétiques. Heureusement, il y aura quelques fous rires, quelques joyeux lurons pour égayer la classe et un cours de philo – programmatique ! - sur la passion. La passion qui monopolise l'être et se mue en obsession. Charlie ne va pas tarder à en voir les effets puisque débarque quelques jours plus tard une nouvelle élève, Sarah (Lou de Laâge), belle, hâbleuse, badine, dotée d'une indéniable aura. C'est le début d'une amitié fusionnelle qui va virer, lentement et sournoisement, à la relation toxique. Charlie va se retrouver désarmée devant cette perverse narcissique à la mécanique bien rodée qu'est Sarah.

Entre son premier et son deuxième film, Mélanie Laurent s'est aussi rodée à l'exercice de la réalisation. Épuré des mièvreries qui parsemaient les « Adoptés », « Respire » se distingue par la précision et la netteté froide de sa réalisation, au sein desquelles Mélanie Laurent s'autorise quelques afféteries de carte postale (essaim d'oiseaux, paysages irradiés de soleil) et quelques ralentis esthétisants, ultimes rançons de son premier long-métrage. Il faut reconnaître que « Respire », dont l'atmosphère glacée et grisâtre rappelle celle d'une autre chronique de l'adolescence, « 17 filles » (Roxane Duran et Louise Grinberg, présentes dans les deux films, viennent conforter l'analogie) est servi par une mise en scène pertinente, à base d'images en surimpression, de jeux éthérés de miroirs et de vitres qui, en réfractant les visages et les regards, installent un climat obsessionnel et étouffant. Un long travelling latéral, vrai tour de force du film, viendra lever le voile sur le secret de Sarah.

Sans doute présent dans le roman éponyme d'Anne-Sophie Brasme qu'adapte ici librement Mélanie Laurent, ce secret permet à « Respire » de ne pas sombrer dans un manichéisme bon teint, d'autant que la réalisatrice choisit d'épouser le point de vue de la victime et de radiographier sa détresse. Elle fait du visage de Joséphine Japy - paysage calme traversé souterrainement par un tourbillon d'affects- la pierre angulaire du film. Autopsie des ravages d'un amitié vénéneuse à l'âge où « on n'est pas sérieux » et où « on se laisse griser » comme le disait un poète de 17 ans, « Respire » est surtout une fascinante et troublante dissection de la perversion narcissique, stratégie perverse de victimisation de soi et de culpabilisation de la victime, faite de va-et-vient entre rejets cassants et retours enjôleurs. Après s'être insinuée dans la vie de Charlie et assuré les faveurs de sa mère (Isabelle Carré, lumineuse et fébrile), Sarah va, au cours d'un week-end à la campagne, révéler sa vraie nature. Elle ne cessera dès lors de retourner en sa faveur les frêles tentatives de mise en défaut, d'autodéfense de Charlie et de la harceler.

A défaut du « Résiste » de France Gall qu'interprétait Joséphine Japy dans le biopic « Cloclo », c'est le « Respire » du titre qui fait office d'impératif de survie pour Charlie, asthmatique, et qui est cause de la surenchère mélodramatique qui grève la fin du film. Ahanements rauques et désespérés, regard caméra viennent boursoufler gauchement un dénouement, par ailleurs très plausible. Malgré ce faux pas final, « Respire » reste un film réussi, entre chronique adolescente au parfum vénéneux et thriller ouaté, dont la justesse est en grande partie redevable à Joséphine Japy, épatante en colonne vertébrale du film, et à Lou de Laâge, sensuelle et déroutante. Quant à Mélanie Laurent, elle gagne, avec ce film -présenté à la Semaine de la Critique à Cannes -ses galons de cinéaste. Allez, on lui concède le droit d'avoir – un peu- le melon.

Lou de Laâge et Joséphine Japy, colonnes vertébrales du film; Copyright image : lemonde.fr

Lou de Laâge et Joséphine Japy, colonnes vertébrales du film; Copyright image : lemonde.fr

Tag(s) : #teen-movie, #thriller, #pervers narcissique

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