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Elle a un visage de porcelaine, la taille fine et arbore de si élégantes toilettes que, n'était son œil mutin, on la prendrait pour une bourgeoise. Elle, c'est Célestine (Léa Seydoux, remarquable), jeune femme de chambre habituée aux raffinements de la vie parisienne que les aléas du métier ont contraint à venir s'enterrer dans un bourg de province, au service des Lanlaire. Madame, acariâtre et soupçonneuse, tient les cordons de la bourse d'une main de fer ; Monsieur se montre volontiers égrillard avec la soubrette. Célestine s'amuse du désir qu'elle suscite chez cet homme veule et à la solde de sa mégère autant qu'elle se sent désarmée devant la sauvagerie bourrue de Joseph (Vincent Lindon), le factotum farouchement antisémite et royaliste des Lanlaire. Sa force animale et son impénétrable mutisme attisent sa curiosité et ne manquent pas d'exercer une irrésistible attraction sur elle. Il y a aussi le voisin, le capitaine, brouillé avec les Lanlaire, qui se targue de manger les fleurs de son jardin et de partager la couche de sa servante Rose (la Rosette de chez Rohmer que l'on retrouve ici avec joie). Commence alors une vie morne, scandée par les ragots du patelin. On retrouve la petite Claire violée et assassinée dans le bois voisin. Célestine soupçonne Joseph. Entre deux réprimandes aigres de Madame, elle se souvient des places qu'elle a occupées jadis et lève le voile sur les vices discrets de la bourgeoisie, dissimulés sous la bigoterie, les bonnes mœurs et les hordes de taffetas.

Benoît Jacquot n'aime rien tant qu'adopter le point de vue de personnages féminins. Aussi ne pouvait-il se dispenser d'adapter le chef d’œuvre d'Octave Mirbeau qui offre un des plus beaux portraits de femme que la littérature française ait jamais compté. Après la version théâtrale et burlesque d'un Renoir période américaine et la lecture fétichiste d'un Buñuel au sommet de son art, Jacquot livre ici l'adaptation la plus fidèle du « Journal d'une femme de chambre ». Mais en voulant enchâsser trop d'épisodes annexes en un temps limité et en modifiant délibérément un donné de l'épilogue, le réalisateur de « Trois coeurs » perd en tension dramatique ce qu'il gagne en exhaustivité et édulcore quelque peu le mystère et l'onirisme noir qui concouraient au charme trouble du roman et du film de Buñuel. Dans sa volonté de tout montrer, il fait abstraction de l'art de la périphrase et de la litote cher à Mirbeau qui, pour éviter de tomber sous le coup de la censure, utilisait moult circonlocutions pour décrire un godemiché, accessoire indispensable de la bourgeoise sous ses airs de pas y toucher.

Mais il serait vain de s'embarquer dans un jeu de comparaisons, tant la version de Jacquot, alliant le classicisme, la reconstitution aux petits oignons à l'énergie sèche et syncopée des mouvements de caméra, est un modèle d'adaptation. D'abord parce que le récit n'y est aucunement alourdi par cette chape de plomb venue couler bien des transpositions de romans à l'écran, j'ai nommé la voix-off, qui entrelardait maladroitement son précédent film, « Trois coeurs ». Ensuite, parce que le film ne se laisse pas corseter par la tendance à l'enluminure, au « faire tableau » inhérents à toute adaptation mais subvertit, par une mise en scène virtuose, les codes engoncés du film d'époque comme Célestine subvertit discrètement et à son échelle l'ordre moral bourgeois, avec un sens aigu de la répartie et un cynisme dignes des valets de comédie.

La caméra de Jacquot, complice de sa révolte sourde, virevolte au diapason de cette sémillante soubrette, créant un rythme alerte que viendra saper l'histoire de George (joué par un Vincent Lacoste très peu à son affaire, tout en scrogneugneux inaudibles), un jeune tuberculeux qui expire dans les bras de Célestine, après avoir succombé à ses charmes. C'est à partir de cette scène, où l'artificiel le dispute au grotesque, que la jacquerie de Jacquot est prise d'un coup de mou, gagnée par un engourdissement que rien, sinon quelques portraits croquignolesques (la mère maquerelle, le capitaine bravache, le couple Lanlaire interprété par les admirables comédiens Hervé Pierre et Clotilde Mollet) et la verve éclatante de Mirbeau, ne viendra secouer. Surnagent de cette torpeur les vivacités de Léa Seydoux, indétrônable dans l'art de jouer la duplicité et un dernier plan, d'une beauté crépusculaire qui, dans sa manière de dialoguer avec l'ultime séquence des « Adieux à la reine », scelle les destins de la dévouée Sidonie et de la frondeuse Célestine dans un même voyage au bout de la nuit.

Célestine et Georges alias Léa Seydoux et Vincent Lacoste. Copyright image paperblog

Célestine et Georges alias Léa Seydoux et Vincent Lacoste. Copyright image paperblog

Tag(s) : #adaptation, #Mirbeau, #Bunuel, #Jacquot, #Léa Seydoux

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