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Rétrospectivement, on se dit que le précédent film de Rappeneau, avec son titre expéditif, « Bon voyage », augurait la retraite prolongée du cinéaste de « La vie de château». C'est qu'il a fallu attendre douze ans pour que ce vétéran discret du cinéma français (8 films en près d'un demi-siècle) revienne avec une comédie dans l'esprit de celles qui avaient fait son succès. Mais dans l'esprit, seulement, et c'est là que le bât blesse. Car cette intrigue sentimentalo-immobilière menée tambour battant, selon le rythme allegro furioso propre au cinéaste, accouche d'une souris. Beaucoup de bruit et de trépidation pour rien dans ce film « tout feu, tout flamme » qui éteint tous ses incendies à mesure qu'il les allume. Avec « Belles familles », Rappeneau fait montre de la limite de ses talents d'artificier. Des rebondissements pétaradants, une réalisation et un montage virtuoses, un chassé croisé virevoltant porté par un casting clinquant (Amalric, Viard, Dussollier, Lellouche..) ne suffisent pas à chasser l'impression d'être en présence d'une stérile course au gag à la Gaston Lagaffe (les sacs de course qui tombent, les gamelles à répétition) où la plupart des personnages apparaissent comme des pantins totalement assujettis à la mécanique rythmique qui fait tenir l'ensemble. Deux ex-machina redoutable de ce manège un peu vieillot qui tourne bien souvent à vide, Rappeneau semble s'être donné pour seul mot d'ordre l'antienne entraînante de « La ronde » de Max Ophüls : « Tournent, tournent mes personnages.. ».

Film choral aux chevilles scénaristiques habilement imbriquées mais désespérément convenues, « Belles-familles » s'impose, par delà ses défauts, comme un geste de cinéma intéressant de la part d'un des cinéastes les plus populaires de ces cinquante dernières années,comme une tentative de grand écart passionnante entre cette forme de cinéma populaire et patrimoniale (avec son lot de vieilles demeures et de parcs boisés, son romanesque endiablé) qu'il n'a cessé de remettre sur le métier et un cinéma plus contemporain, agitant les signes d'une mondialisation toujours plus effrénée. A l'image de son personnage principal, Jérôme Varennes (Mathieu Amalric), homme d'affaires installé à Shanghaï, écartelé entre les impératifs de sa profession qui l'appellent à Londres et un imbroglio autour de la maison familiale qui le retient à Paris, « Belles-familles » est un film en forme de querelle interne de l'ancien et du moderne, du statisme et du mouvement. La demeure des Varennes, vieille bâtisse patrimoniale, n'attend que d'être transformée en gigantesque complexe immobilier ; un notaire véreux, un maire débonnaire (figures séculaires, balzaciennes ) et un promoteur immobilier (figure du capitalisme contemporain) bataillent pour s'en saisir ; la fratrie Varennes elle-même se fait le creuset de cette opposition, avec le personnage de frère réac' et cul-serré (Guillaume de Tonquédec, ridicule et engoncé dans son rôle attitré de petit bourge coincé) qui voit d'un mauvais œil la fuite en avant de Jérôme vers la modernité, qu'il assimile à une haute trahison. En somme, « Belles familles » est le geste émouvant d'un vieux guépard du cinéma, entérinant la fin d'un monde avec une forme lucidité douce qui le rend infiniment sympathique.

Dommage que l'attachante entreprise de ce brillant horloger reste amarrée dans sa forme (photo ripolinée) comme dans ses rebondissements à une forme de cinéma éculée à côté de laquelle toutes les précédentes réalisations de Rappeneau, y compris ses adaptations, («Le hussard sur le toit", "Cyrano de Bergerac") scintillent d'un éclat, d'une modernité singulière. La scène de concert finale, où tous les enjeux du récit se condensent et s'affolent, a beau être rondement menée, ce type de climax, revu et corrigé mille fois participe de l'aspect vermoulu, peu inventif, voire grotesque de l'ensemble (le romantisme Harlequin et pompier de la fin). De ce réseau emberlificoté d'intrigues familiales, amoureuses et testamentaires, on retiendra quelques scènes entre la jeune et jolie Marine Vacth (convaincante, mais un peu trop papier glacé) et Mathieu Amalric, qui semble sorti sans transition du film de Desplechin, « Trois souvenirs de ma jeunesse » (déambulation mélancolique dans les recoins du passé, rapport difficile au géniteur, les deux films dialogueraient presque).Avec un certain sens de l'euphémisme, on dira au réalisateur de Cyrano : « c'est un peu court, jeune homme ».

Mathieu Amalric et Marine Vacth. Copyright image : Telerama

Mathieu Amalric et Marine Vacth. Copyright image : Telerama

Tag(s) : #film choral, #Amalric, #cinéma français, #ancien et moderne

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